Gilbert Roux dit:
@Cyrus Grimaud Il me semble avoir lu cela quelque part mais je peux me tromper... Il semble que Claude Jacquet l'ait entendu dire également. Toujours est-il que si cela n'est pas le cas en Russie c'est en tout cas le cas en France depuis bien longtemps (et maintenant en Chine d'après Marc Manoël). Donc comment expliquez-vous un tel engouement pour ces exercices de Hanon ?
Cher Gilbert, ce n'est qu'un avis, et je vous le donne en toute franchise, mais je pense que l'attrait typiquement français pour le Hanon provient tout simplement de notre histoire, je veux dire du rôle prééminent (centralisation plus rayonnement national) du Conservatoire de Paris, où Hanon a été très longtemps en usage "officiel" - notamment dans cette période de transition où la facture instrumentale évolua plus vite que les mentalités pianistiques, que modifiaient tant les compositeurs que les interprètes.
Si bien qu'on en est arrivé à la veille de la Grande guerre à prôner sur l'Erard à cordes croisées de Ravel, sur le Bechstein de Debussy, sur le Pleyel de Cortot, sur le Steinway de Paderewski... l'enseignement d'une technique très articulée, très digitale, parfaite pour Moscheles, Reinecke ou autres dinosaures de l'époque post-pianofortiste, mais en complet décalage avec la réalité. Il est alors idiot d'enseigner Hanon au Conservatoire de Poitiers, par exemple, quand Risler joue tout Beethoven en concert, quand Blanche Selva présente Iberia, quand Stravinsky fait sensation en France, etc.
Je trouve qu'il y a aussi dans le Hanon un côté positiviste très 19e siècle. Chopin et Liszt ont révolutionné le piano ? L'intuition, le bon sens élémentaire vous dictent la souplesse, l'usage des bras, du poids du corps ? Et alors ? Hanon est rassurant : en applicant benoîtement sa méthode militaire, en s'astreignant à des heures stériles et non musicales de pure gymnastique digitale, on s'imagine progresser. Le bon idéal du piano féminin, du piano de province, des usines à doubles-croches contre lesquelles tempêtait Yves Nat. Relisez la presse de l'époque. Claudio Arrau qualifiait ainsi ce "vieux piano français dépassé de basse-cour" (témoignage transmis par mon professeur, le Vénézuélien Otto Delfino).
A mon âge, je peux me permettre de penser ainsi, pour avoir souffert enfant de ce type de conceptions criminelles. Ne manque plus que la pièce de 100 sous que ma grand-mère posait sur le dos de nos mains ! Philippe Cassard, qui lui est un professionnel, traduit bien, en bon disciple de Magaloff et Merlet, ce qu'il faut à mon sens penser du Hanon